Se relier à soi, pour mieux coopérer

par | juin 2022 | Développement personnel, Résolution de conflits

Un article rédigé sur proposition de « passerelle eco » en vue d’alimenter la revue n°79 (juin 2022) dont le thème porte sur la gouvernance partagée.

Préambule

Moi : Lorsqu’on m’a proposé d’écrire pour la prochaine revue « passerelle éco » sur le sujet de la gouvernance partagée, j’ai dit oui sans hésiter.

Elle : Ah, super, et de quoi vas-tu parler ?

Moi : Je ne sais pas, mais je sens que j’ai envie de le faire.

Elle : Tu sens que tu as envie…

Moi : Oui, c’est… comment dire… comme une ouverture au niveau du cœur… et en même temps, une contraction du diaphragme, la respiration qui devient un peu plus difficile. Cela m’évoque… l’excitation ! Oui, je crois que je suis excité à l’idée d’écrire, de témoigner, de partager, et dans cet état, j’ai peur de perdre mes moyens, ne pas savoir comment m’y prendre, ou ce qui pourrait être intéressant pour le lecteur.

Elle : Tu sens des choses en toi, tu excité à l’idée d’écrire et en même temps, tu as peur de perdre tes moyens… Et si tu respirais en présence de cet état, pour l’accueillir tel qu’il est, est-ce que ça changerait quelque chose ?

Moi : … Oui, c’est ok, je sens que ça évolue, je vais pouvoir commencer.

La justesse intérieure au service du collectif

A l’heure où j’écris ces premières lignes, je suis avachi à l’arrière de mon camion, face à la mer bretonne, et je me dépose enfin. Le vent est frais, et le soleil pourtant présent ne suffit pas à réchauffer mes doigts au fil des idées qui se déroulent sur le clavier. Je me repose, après un week-end magnifique pendant lequel je faisais ce que j’aime, ce que je sais faire, ce dont le monde a besoin, et ce pour quoi je me fais payer1 : dispenser une formation à la gouvernance partagée et accompagner groupes et individus.

C’est un nouveau métier pour moi, j’ai rejoint l’instant Z2 l’an passé, après de multiples tentatives dans divers domaines. J’ai l’impression de pouvoir enfin donner le meilleur de moi-même au service d’autres personnes, qui veulent mettre le meilleur d’elles-même au service… d’un projet, d’un rêve, de la planète, des fourmis, peu m’importe finalement. Au fond, ce que je souhaite, c’est aider ceux qui sont prêts à cheminer vers eux-même, avec sincérité et détermination.

Je réalise donc que j’accompagne avant tout des individus, qui se questionnent, qui se trouvent en difficulté ou qui veulent s’équiper avant de prendre le large avec d’autres. Ces individus, à la recherche et à l’écoute de leur justesse, font groupe, le temps d’un instant, ou pour plus longtemps, pour réaliser un rêve qu’ils ont en commun, certes, mais qu’ils portent avant tout en chacun d’eux.

Clarté et responsabilité

Il me semble essentiel d’être bien au clair sur ce qui me motive, en tant qu’individu, à contribuer au collectif : par exemple, suis-je mû par une blessure d’abandon qui me pousse à ne pas rester seul ? On pourrait parler de la raison d’être individuelle, qui influence le projet commun. Dans nos formations et accompagnements, nous insistons sur l’importance de prendre le temps d’explorer ensemble ces motivations individuelles pour en dégager une raison d’être commune, des valeurs et leur applications concrètes, qui serviront d’autant de repères tout au long du projet.

Parfois, même lorsque cette clarté est présente, cela ne suffit pas. Combien de collectifs vivent des difficultés et en viennent à exploser3. On mentionne alors le PFH, ce « p***** de facteur humain », le sourire en coin, l’air de dire, « tu vois ce que je veux dire »… Et oui, il est essentiel de prendre soin de ce précieux facteur humain, et de lui donner une autre place qu’un simple élément au sein d’un projet ou d’une structure !

Je dirais même que c’est à la fois inévitable et indispensable. Je fréquente des groupes qui réfléchissent à ajouter dans leur charte la condition pour chaque membre de réaliser un « travail personnel » psychologique ou autre, en complément de la vie de groupe. Certains éco-lieux, par exemple, semblent l’assumer pleinement. Et pourquoi pas ? En tous cas, ne pas reporter sur le groupe et le projet les zones d’ombres que je n’aurais pas le courage de voir et de traverser… On pourrait parler d’hygiène personnelle, de gestion émotionnelle, de conscience de soi…

Là où ça devient délicat, c’est que ces zones d’ombres sont bien souvent mises au jour par les autres membres du groupe, par les situations particulières dans lesquelles se retrouve le projet… De quelle manière vais-je pouvoir gérer ces situations en temps réel ? Plus je suis encombré intérieurement, plus j’ai de chances de réagir de manière inadaptée, non souhaitable, on pourrait dire moins efficiente. Il m’est donc nécessaire de développer une conscience et une écoute de ce qui me traverse, mais aussi d’être en mesure d’accueillir les émotions et sensations procurées, fussent-elle parfois très désagréables.

Combien de fois me suis-je tû, sans avoir réussi à exprimer ni gérer quoi que ce soit, alors que c’était bouillonnant à l’intérieur de moi ?

Me responsabiliser. Ce que je ressens, c’est moi qui le ressens. Surtout si « ça a un air de… » ou que « je sens que le groupe ceci ou cela »… c’est mon capteur, c’est mon interprétation, et c’est parfois bien délicat d’interpréter. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de développer l’écoute, l’accueil et au besoin, la régulation des sensations qui précèdent, parfois de quelques microsecondes, une réaction, un mouvement, une parole. La bonne nouvelle, c’est que pour cela, il existe plein de pratiques et méthodes pertinentes, comme le focusing4, qui me soutient pour contacter ma justesse intérieure.

Interlude respiratoire

Prenons une respiration ensemble, avant de continuer.

Sentons ce qui est présent pour nous, en nous, en cet instant.

Comment pourrais-tu le décrire ?

Voilà un exemple de petit temps qui peut faire du bien en début (tour météo) de réunion…

Des processus à notre service

Avec la gouvernance partagée, on construit et on adopte ensemble un cadre qui permet de ne pas s’en remettre uniquement au bon vouloir et à la bonne gestion émotionnelle de chacun. C’est une sorte de convention collective à laquelle on se réfère, qui contient des processus qu’on utilise en fonction des situations, par exemple, pour répartir la parole, prendre une décision, clarifier l’implication de chacun, etc.

—–

Parfois je rêve que cette formalisation de la gouvernance partagée, avec ses codes et ses règles, ne soit qu’une sorte d’étape intermédiaire entre l’humain d’hier et celui de demain, qui pourrait alors se fier, pour toutes ses interactions avec son environnement, à sa boussole intérieure dont il aurait poli le verre au fil du temps...

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Je ne vais évoquer ici qu’un seul de ces processus : la décision par consentement, issue de la Sociocratie. Il s’agit d’une méthode pour parvenir à une décision collective en partant d’une proposition initiale portée habituellement par une seule personne (cela facilite le déroulé). Elle est enrichie par les apports des membres présents, puis validée sans ambiguïté.

Voilà le processus, hors tour d’ouverture et de clôture (météo perso) :

instant Z - décision par consentement - gouvernance partagée

CC-BY-SA La décision par consentement, une des nombreuses fiches pratiques de l’instant Z, inspirée par la Sociocratie5.

Avec curiosité et confiance

La curiosité et la confiance sont essentielles pour coopérer dans de bonnes conditions. Plus que deux valeurs, ce sont avant tout des attitudes intérieures. Le processus de décision par consentement les favorise, parfois par la force des choses lorsqu’on se fait « gentiment recadrer » par la personne qui facilite la réunion.

Lors de la seconde étape du processus (les questions de clarifications), l’attitude curieuse permet de laisser temporairement de côté ses réactions spontanées, parfois émotionnelles, et invite à poser des questions pour mieux comprendre la proposition et s’assurer d’avoir bien compris avant toute réaction. On s’enrichit les uns les autres par les questions qui sont posées et par les réponses qui y sont apportées. Parfois, on peut identifier des manquements ou des zones de flou, qui pourront être partagées juste après, lors du tour de réaction et de bonification.

Après les questions de clarification vient donc le tour de réactions et de bonifications. Ces deux termes sont importants. Il s’agit maintenant de réagir de manière constructive, donc de livrer son sentiment général et ses remarques spécifiques, enrichies par les questions qui ont précédé, afin de bonifier la proposition : « super proposition », « je me sens perdu avec cette proposition », « merci pour ce travail », « je mettrais plutôt  « facile d’accès » à la place de  « pratique » pour tenir compte de la question de tout à l’heure », etc.

Lors de ce tour de réaction/bonification, il est essentiel d’avoir confiance.

  • Confiance en les autres et en leurs intentions : ce qu’ils expriment parle d’eux, de leurs besoins, de leurs limites, et ce n’est pas contre moi.
  • Confiance dans le processus : si je ne dis pas tout ce que j’ai à dire, quelqu’un d’autre le fera probablement ; on pourra revenir sur la proposition si elle s’avère insuffisante ou inadéquate avec le temps.
  • Confiance en soi et estime de soi : si quelqu’un d’autre dit ce que je voulais dire ce n’est pas un problème. Si quelqu’un donne un avis qui semble opposé au mien non plus.

Cette confiance grandit au fil du temps, à force de s’approprier le processus et d’en découvrir les fruits.

Après le tour de réactions/bonifications, vient le moment pour la personne qui porte la proposition de choisir de maintenir sa proposition, la modifier, la reporter ou la supprimer. Là aussi, la confiance est nécessaire, puisque la seule personne porteuse de la proposition initiale peut décider de tenir compte ou non de ce qui a été partagé précédemment. S’ensuivra un tour d’objections, puis la levée des objections le cas échéant.

Confiance et curiosité, au sein d’un processus, sont de bons ingrédients pour prendre une décision collective sans ambiguïté.

Dans la vie de tous les jours

Ne serait il pas souhaitable de nous approprier dans la vie de tous les jours ces valeurs fondamentales que sont la curiosité et la confiance ? Car n’avons-nous pas tendance à réagir sans prendre assez le temps de s’assurer d’avoir bien compris le propos, l’intention de l’autre ou la situation dans son ensemble ?

C’est ce qu’on pourrait appeler le « mode réaction », ou la « spontanéité excessive ». A force de vivre ce processus de « prise de décision par consentement » en collectif, j’en viens à « différer » quelque fois mes réactions spontanées, pour adopter cette attitude curieuse dans des situations en dehors de toute procédure en lien avec la gouvernance partagée. Grâce à ce changement d’attitude, je me rends compte rapidement que la réaction ou l’avis que j’aurais partagés spontanément étaient inappropriés !

Cela demande de revenir à soi, l’espace d’un bref instant. Je dirais plutôt de « rester avec soi » tout en « étant avec l’autre ». Plus facile à dire qu’à « faire » ! Plus facile à faire qu’à « être ». Apprendre à vérifier en soi, avant d’extérioriser. Une attention sans cesse renouvelée, dont les fruits dépendront du contexte, de la sensibilité du moment, des personnes présentes…

Une danse entre le JE et le NOUS

En résumé, il s’agirait donc :

  • de cultiver individuellement l’écoute et le discernement de notre justesse intérieure, pour se mettre au service du collectif tout en prenant soin de nos besoins ;
  • d’utiliser collectivement des processus, outils et méthodes, qui soient à la fois au service du projet et de la raison d’être commune, et qui laissent à la fois de l’espace pour légitimement exprimer ce qui nous convient ou non, ce qui nous enthousiasme ou nous pose problème.

J’ai croisé tant de personnes qui se fondent dans le NOUS, au point parfois de ne plus savoir pourquoi elles se retrouvent ensemble ou tiennent absolument à réaliser tel ou tel projet collectivement..

Qui suis-je dans le groupe ? Qui suis-je sans le groupe ? Quel rôle est-ce que je joue, quel espace est-ce que j’occupe parmi les autres ? Qu’est-ce que ça m’apporte, qu’est-ce que ça vient nourrir ?

Il n’y a pas de meilleure réponse à l’une ou l’autre question. J’invite simplement à éveiller un peu de conscience, mettre au jour les non-dits qui peuvent amener des zones de flou, des tensions, voire « maintenir artificiellement » des personnes ensemble…

Je salue celles et ceux qui osent prendre le contre-pied du « tout collectif » et qui partent courageusement à la recherche d’elles-mêmes. Cela peut passer par de grands moments de solitude, des tiraillements intérieurs, du jugement et de l’auto-jugement, pour accueillir, accepter, encore et encore, de ressentir ce qu’elles ressentent, et lâcher, encore et encore, les représentations et les discours qui y sont associés.

Le retour vers le NOUS avec un JE assumé, plus clair et déterminé, en est d’autant plus beau, et il semble alors possible se déployer et de trouver, sans plus la chercher, sa juste place. C’est bien ce que j’ai vécu ce week-end avec ce petit groupe motivé, et une fois de plus, j’en ai pleuré… mon cœur s’est ouvert, et je m’en suis remis à plus grand que moi. Depuis cet espace empreint d’humilité, il n’est plus question de mots, si ce ne sont ceux qui tentent d’exprimer ma gratitude en la Vie, si mystérieuse et si généreuse à la fois.

Respiration. Accueil. Célébration.

Notes

1 Ikigai : https://bit.ly/3rMQHqQ

2 Une équipe de professionnels dans la transmission de la gouvernance partagée : https://instantz.org

3 Voir passerelle éco 78, « la violence en collectif » : https://bit.ly/3KN1tEr

4 Ecoute sensible de soi et des autres, voir https://www.ifef.org

5 Article détaillé et fiche pratique : https://instantz.org/prise-decision-par-consentement

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