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Des projets menés entièrement collectivement, entre rêve et réalité
Une partie de moi, romantique, rêve de projets menés réellement collectivement, sans chef. La réalité m’amène cependant à constater que la plupart du temps, quelqu’un s’impose… parfois malgré lui, mais il ou elle développe une forme d’influence.
L’échange récent entre Sophie Rhabi et Issa Padovani, disponible sur Youtube, vient amener un nouvel éclairage sur le rôle de la personne source. Qu’en tirer dans notre pratique de la gouvernance partagée ?
1er lien et Personne source, 2 fonctions distinctes
Les systèmes de gouvernance partagée (GP) dits «constitutionnels», tels que l’Holacracy, la gouvernance cellulaire ou le modèle Z proposent des mécaniques permettant de gérer cette problématique d’influence, sans pour autant être suffisamment précises.
Le premier lien, notion amenée dans le concept de double lien de la sociocracie, est l’élément permettant de mettre une certaine verticalité dans les structures, notamment les structures complexes. Bien que son nom puisse varier suivant le modèle de gouvernance partagée (par ex. lien pilotage), une responsabilité lui incombe dans tous les cas : porter la raison d’être du «tout» plus grand dans le «tout» plus spécifique. En clair, porter la raison d’être de l’ensemble de l’organisation au sein d’une équipe dédiée à une tâche spécifique.
Dans le cercle d’ancrage, c’est-à-dire le cercle racine qui englobe toutes les activités de l’organisation, ce 1er lien est dès lors souvent facultatif. S’il existe, il a souvent la casquette de «grand gardien de la raison d’être» et la fonction de répartir les ressources, que ce soit l’attribution des budgets ou l’attribution des différents rôles aux personnes les plus aptes à remplir les tâches attendues.
De ce fait, ce rôle de premier lien en cercle d’ancrage peut être aisément comparé, voir associé, à la notion de «personne source».
Les 4 options possibles pour intégrer ces 2 rôles
On pourrait lister les différentes combinaisons possibles entre premier lien et personne source :
1️⃣ 1er lien source : La personne source revendique cette posture. Si elle est également à l’aise dans la gestion d’une équipe, elle prend la casquette de 1er lien, un premier lien dont la position n’est pas discutable. Sa parole a plus de poids que celle des autres membres sur tout ce qui concerne la vision, la mission ou les valeurs de l’organisation.
C’est elle également qui tranche sur la signification des textes posés en cas de désaccord sur leur interprétation. Elle a comme domaine d’autorité la raison d’être de l’organisation. Bien qu’elle puisse choisir de la faire évoluer en consultant les autres membres, elle aura toujours le dernier mot pour savoir ce qui est acceptable ou pas au regard de son projet initial.
2️⃣ Source et 1er lien : La personne source revendique cette posture, mais elle n’est pas très douée pour gérer une équipe, par exemple. Elle prendra donc le rôle «source», en charge de l’actualisation de la raison d’être et des valeurs de l’organisation. Elle se chargera de faire évoluer cette raison d’être, en collaboration avec les autres membres si elle le souhaite. Là aussi, elle a le dernier mot pour savoir ce qui est acceptable ou non au regard de son projet initial.
Pour piloter l’équipe au mieux, une autre personne sera en charge du rôle 1er lien pour l’attribution des ressources et le rappel du cadre au quotidien. On pourrait comparer ce mécanisme à la différenciation en politique du législatif et de l’exécutif. Le 1er lien peut changer régulièrement, mais la personne source ne peut pas être requestionnée.
C’est la configuration de l’instant Z pour le moment.
3️⃣ Pas de source, mais un 1er lien : Le groupe ne se reconnaît pas de personne source, ou n’en veut pas. Le rôle source n’est donc pas énergétisé. Par contre, pour des questions d’efficacité, le groupe peut souhaiter avoir un·e pilote. Dans ce cas, un processus détermine comment élire un 1er lien. Ce processus détaille le cahier des charges de ce rôle, la durée du mandat et le mode de prise de décision.
En parallèle, la raison d’être évolue également sous l’influence du groupe. Un autre processus définit donc comment les membres de l’organisation peuvent proposer des évolutions dans la vision, la mission ou les valeurs de l’organisation, et comment le groupe décide ou non de les intégrer. La tâche du 1er lien consiste donc à recadrer le groupe lorsque celui-ci s’éloigne de l’objectif qu’il s’est lui-même défini. Ce rôle est remis au concours régulièrement, comme les autres rôles structurels (par ex. via une élection sans candidat).
4️⃣ Ni source, ni 1er lien : Le groupe ne se reconnaît pas de personne source, et n’a pas besoin de pilote. Aucun de ces rôles n’est donc énergétisé. Chaque membre est donc invité à garder un œil sur le cap, et à recadrer le groupe dans ce qu’il perçoit comme dérives. Dans cette situation, il est important que ce cap soit défini clairement, car il n’y a personne sur qui s’appuyer pour départager deux avis divergents.
Plusieurs processus collectifs doivent également être définis. En plus des processus pour faire évoluer la raison d’être, il y a les processus pour reprendre collectivement les tâches du 1er lien: définir les budgets, attribuer la bonne personne au bon rôle et d’autres selon le détail de ce qui lui aura été confié (à travers le curseur managérial par exemple).
Bien sûr, chacune de ces situations a ses avantages et ses inconvénients. Il faut cependant se rappeler qu’une situation indéfinie (et soumise à interprétation) est sûrement la plus dysfonctionnelle. Et se rappeler également qu’il est plus facile pour une personne source de lâcher ce rôle en cours de route, que de vouloir le reprendre lorsque le projet dérive dans une direction non souhaitée…
Tout est possible, à condition de le définir clairement
Certains groupes pourront craindre que la personne source, voire le 1er lien, abusent de l’autorité qui leur a été confiée.
Plutôt que de vouloir impérativement se passer de ces rôles, ces groupes ont meilleur temps de mettre en place des mécanismes, issus des pratiques démocratiques, pour pouvoir recourir contre certaines décisions qu’ils jugeraient abusives.
Que ce soit une modification autocratique de la raison d’être, une désaffectation abusive d’un rôle ou un budget établi sans consultation, il peut être rassurant de définir un «droit de recours» permettant à une personne qui se sentirait victime d’un abus de pouvoir de présenter son cas devant un collège plus large. Bien entendu, la composition de ce collège et son autorité à agir sur les champs d’autorité des autres rôles, sont à définir également clairement dans le règlement interne, ceci avant de se lancer dans le projet.
En conclusion, il y a de nombreuses façons de faire, et l’important c’est de bien différencier les différentes possibilités et de se mettre d’accord sur l’une ou l’autre !
Des événements récents dans certains collectifs auxquels je contribue ainsi que le témoignage des événements du Hameau des Buis viennent me conforter dans l’idée que tout est possible, à condition de le poser clairement… sur le papier également.
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